Цветы зла - Шарль Бодлер
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J'ai senti tous les becs et toutes les mâchoires
Des corbeaux lancinants et des panthères noires
Qui jadis aimaient tant à triturer ma chair.
— Le ciel était charmant, la mer était unie;
Pour moi tout était noir et sanglant désormais,
Hélas! Et j'avais, comme en un suaire épais,
Le cœur enseveli dans cette allégorie.
Dans ton île, ô Vénus! Je n'ai trouvé debout
Qu'un gibet symbolique où pendait mon image…
— Ah! Seigneur! Donnez-moi la force et le courage
De contempler mon cœur et mon corps sans dégoût!
VIEUX CUL-DE-LAMPE.
L'amour est assis sur le crâne
De l'Humanité,
Et sur ce trône le profane
Au rire effronté,
Souffle gaiement des bulles rondes
Qui montent dans l'air,
Comme pour rejoindre les mondes
Au fond de l'éther.
Le globe lumineux et frêle
Prend un grand essor,
Crève et crache son âme grêle
Comme un songe d'or.
J'entends le crâne à chaque bulle
Prier et gémir:
— "Ce jeu féroce et ridicule,
Quand doit-il finir?
Car ce que ta bouche cruelle
Éparpille en l'air,
Monstre assassin, c'est ma cervelle,
Mon sang et ma chair!"
Qu'est-ce que Dieu fait donc de ce flot d'anathèmes
Qui monte tous les jours vers ses chers Séraphins?
Comme un tyran gorgé de viande et de vins,
Il s'endort au doux bruit de nos affreux blasphèmes.
Les sanglots des martyrs et des suppliciés
Sont une symphonie enivrante sans doute,
Puisque, malgré le sang que leur volupté coûte,
Les cieux ne s'en sont point encore rassasiés!
— Ah! Jésus, souviens-toi du Jardin des Olives!
Dans ta simplicité tu priais à genoux
Celui qui dans son ciel riait au bruit des clous
Que d'ignobles bourreaux plantaient dans tes chairs vives,
Lorsque tu vis cracher sur ta divinité
La crapule du corps de garde et des cuisines,
Et lorsque tu sentis s'enfoncer les épines
Dans ton crâne où vivait l'immense Humanité;
Quand de ton corps brisé la pesanteur horrible
Allongeait tes deux bras distendus, que ton sang
Et ta sueur coulaient de ton front pâlissant,
Quand tu fus devant tous posé comme une cible,
Rêvais-tu de ces jours si brillants et si beaux
Où tu vins pour remplir l'éternelle promesse,
Où tu foulais, monté sur une douce ânesse,
Des chemins tout jonchés de fleurs et de rameaux,
Où, le cœur tout gonflé d'espoir et de vaillance,
Tu fouettais tous ces vils marchands à tour de bras,
Où tu fus maître enfin? Le remords n'a-t-il pas
Pénétré dans ton flanc plus avant que la lance?
— Certes, je sortirai, quant à moi, satisfait
D'un monde où l'action n'est pas la sœur du rêve;
Puissé-je user du glaive et périr par le glaive!
Saint Pierre a renié Jésus… Il a bien fait!
I
Race d'Abel, dors, bois et mange;
Dieu te sourit complaisamment.
Race de Caïn, dans la fange
Rampe et meurs misérablement.
Race d'Abel, ton sacrifice
Flatte le nez du Séraphin!
Race de Caïn, ton supplice
Aura-t-il jamais une fin?
Race d'Abel, vois tes semailles
Et ton bétail venir à bien;
Race de Caïn, tes entrailles
Hurlent la faim comme un vieux chien.
Race d'Abel, chauffe ton ventre
À ton foyer patriarcal;
Race de Caïn, dans ton antre
Tremble de froid, pauvre chacal!
Race d'Abel, aime et pullule!
Ton or fait aussi des petits.
Race de Caïn, cœur qui brûle,
Prends garde à ces grands appétits.
Race d'Abel, tu croîs et broutes
Comme les punaises des bois!
Race de Caïn, sur les routes
Traîne ta famille aux abois.
II
Ah! Race d'Abel, ta charogne
Engraissera le sol fumant!
Race de Caïn, ta besogne
N'est pas faite suffisamment;
Race d'Abel, voici ta honte:
Le fer est vaincu par l'épieu!
Race de Caïn, au ciel monte,
Et sur la terre jette Dieu!
Ô toi, le plus savant et le plus beau des Anges,
Dieu trahi par le sort et privé de louanges,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!
Ô Prince de l'exil, à qui l'on a fait tort,
Et qui, vaincu, toujours te redresses plus fort.
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!
Toi qui sais tout, grand roi des choses souterraines,
Guérisseur familier des angoisses humaines,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!
Toi qui, même aux lépreux, aux parias maudits,
Enseignes par l'amour le goût du Paradis,
Ô Satan, prends pitié de ma longue misère!
Ô toi qui de la Mort, ta vieille et forte amante,
Engendras l'Espérance, — une folle charmante!